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POURQUOI LES TRAITES D ALCHIMIE SONT-ILS OBSCURES ?




Les traités de philosophie hermétique sont obscures pour le lecteur dans un premier temps parce que les théories alchimiques sont généralement méconnues. Ensuite, des philosophes les ont rendus obscures par pure volonté. Les "maîtres" considéraient l'alchimie comme la plus précieuse des sciences. "L'Alchimie est l'art des arts, c'est la science par excellence". Une telle science science ne devait, selon eux, n'être connue que d'un  petit nombre d'initiés. Faut-il les blâmer d'avoir voulu réserver cette science uniquement pour eux-même ? Ceci peut nous paraître aujourd'hui excessif, mais dans l'antiquité, qu'étaient-ce que les Mystères, sinon la transmission,sous le sceau du serment, de quelques secrets naturels, de quelques points peu communs de haute philosophie. Au Moyen-Âge, les corporations de métiers conservaient des secrets pratiques qu'aucun initié ne se serait  avisé de divulguer. La préparation de certaines couleurs constituait un héritage précieux que nombre de grands peintres ne léguaient qu'à leurs disciples chéris.

Les philosophes hermétiques, s'ils cachaient la science ne la vendaient pas de surcroît. Quand ils rencontraient une personne apte à être initiée, ils la mettaient dans le droit chemin sans jamais tout lui révéler. Il fallait que le disciple travaille à son tour pour découvrir ce qui lui manquait. C'est de cette façon que les philosophes ont procédé dans leurs écrits, les uns indiquant la Matière du Grand Oeuvre, les autres les degrés du feu, et ceux-ci les couleurs qui apparaissent pendant l'opération, enfin le dispositif de l'athanor, ou fourneau des philosophes. Cependant, il n'y a aucun exemplaire connu de philosophie hermétique décrivant ouvertement toutes les parties du Grand Oeuvre; Ceux qui n'auraient pas respecté cette règle pensaient s'exposer aux châtiments célestes. Selon eux, les révélateurs auraient été frappé de mort immédiate. Nicolas FLAMEL, reprenant le livre d'Abraham le Juif : "je ne représenteray point ce qui estoyt écrit en bel et très intelligible latin, en tous les autres feuillets écrits, car Dieu me puniroit". "Explication des Figures" : Nicolas FLAMEL.

Quant à ce l'on a dit couramment, concernant le langage obscure et symbolique des écrits des Alchimistes, qui, pour se préserver de certaines accusations indéfendables que pouvaient porter contre-eux des pseudo théologiens trop zélés, comme l'inquisition, cela me semble absolument erroné. Il est néanmoins vrai que les figures et symboles, qui encombrent leurs traités,  laissent le champ libre à l'accusation de magie. Roger BACON, Albert LE GRAND, Aranud de VILLENEUVE, n'ont pas échappé d'ailleurs à cette accusation. Cependant, les Alchimistes étant fort pieux, nous sommes, par leurs écrits, constamment confrontés aux invocations déistes. En effet, ils partageaient, à priori, leur temps entre l'étude, le travail et la prière. Quelques illuminés prétendaient, de surcroît,  avoir reçu de Dieu le secret de la Pierre Philosophale.

Avant d'élaborer les symboles relatifs à chacune des parties du Grand Oeuvre, je vais essayer d'indiquer, d'une manière générale, quels étaient les moyens employés par les Alchimistes pour préserver des profanes les secrets de leur science.

D'abord, viennent les signes. Ils sont né avec l'Alchimie et ce sont les Grecs, qui les premiers, les employèrent. Ils tenaient leur savoir de l'Egypte antique, les signes alchimiques tenant leur origine directement des hiéroglyphes. Le signe de l'"eau" en Alchimie n'est autre que le hiéroglyphe de l'"eau", et ainsi quelques autres, tels les signes de l'or et de l'argent.

Les symboles alchimiques sont très nombreux dans certains traités, et remplacent tous les noms de matières chimiques et d'opérations alchimiques, c'est pourquoi il semble inutile d'en connaître le sens véritable, ce qui pourrait porter à confusion.

Les symboles, tels que les oiseaux s'élevant et figurant la sublimation (ou un dégagement de vapeurs), étaient  fortement employés, ou bien tombant à terre, ce qui au contraire figuraient la précipitation. Le Phénix était le symbole de la Pierre parfaite, capable de transmuer les métaux vils en or et en argent. Le corbeau symbolisait la couleur noire que prend d'abord la Matière du Grand Oeuvre quand on la chauffe. Un ouvrage de philosophie hermétique singulier : le "Mutus Liber", ou livre sans parole, ne contient en effet aucune ligne de texte, il se compose simplement d'une suite de gravures représentant les différentes étapes du Grand Oeuvre.

Les noms mythologiques étaient en grand honneur dans la nomenclature alchimique, Mars désignant le fer, Venus le cuivre, Appolon l'or, Diane ou Hécate, l'argent, Saturne le plomb; La Toison d'or représente la Pierre Philosophale et Bacchus la Matière de la Pierre. C'est là une tradition "romano-gréco-égyptienne",  de fait qu'au Moyen-Âge on utilisa à profusion les noms mythologiques des métaux. Mais à partir de la fin du XVIème siècle, leur usage prit une telle expansion que le bénédictin Dom Joseph PERNETY dût écrire deux gros volumes, "Fables grecques et égyptiennes dévoilées", pour explique leur sens et leur origine.

Aux appellations mythologiques, vint se joindre un grand nombre de noms étrangers : hébreux, grecs, arabes. En raison même de l'origine de l'Alchimie, nous rencontrons souvent des mots d'origine grecque antique.
En voici quelques uns : "Hylé", matière première; "Hypoclaptique", vase servant à séparer les huiles essentielles; "Hydreloeum", émulsion d'huile et d'eau; etc...
Cependant, les termes d'origine arabe sont de loin les plus nombreux (et sont restés d'ailleurs dans notre vocable habituel), tels que : élixir, alcool, borax. alcalin, étain. vinaigre, vitriol "vert", et d'autres tombés dans l'oubli comme; alafar, matras, alcahal ou encore almizadir et zimax.
Quant aux mots d'origine hébraïque, nous ne les rencontrons guère que dans les traités cabalistiques. Je renvoie pour approfondissement du chapitre au "Dictionnaire mytho-hermétique" de Dom PERNETY et au "Lexicon chimicum" de JONHSON.

Nous comprenons toute suite que ce glossaire spécial devait suffire souvent à écarter les profanes. Mais les alchimistes usaient en plus d'autres moyens pour celer le Grand Oeuvre.

Ainsi, très souvent ils employaient l'anagramme, ils procédaient aussi par énigmes, en voici une facile à résoudre : "Tout le monde connaît la pierre et je l'affirme par le Dieu vivant tous peuvent avoir cette matière que j'ai nommée clairement dans le livre "vitrium", selon les ignorants il faut ajouter L et O, la question est de savoir où il faut placer ces lettres." (HELIAS, "Miroir d'Alchimie"). Le terme en fait de cette énigme est "vitriol".

Une curieuse énigme fort prisée des alchimistes se trouve dans le troisième volume de "Théatrum Chimicum", page 744, accompagnée d'un commentaire de dix pages de Nicolas BARNAULD. La voici : "Aelia loetia crispis est mon nom. Je ne suis ni homme, ni femme, ni hermaphrodite, ni vierge, ni adolescente, ni vieille. Je ne suis ni prostituée, ni vertueuse, mais tout cela ensemble. Je suis morte, ni de faim, ni par le fer, ni par le poison, mais par toutes ces choses à la fois. Je ne repose ni au ciel, ni sur terre, ni dans l'eau, mais partout. Lucius Agatho Ptiscius qui n'était ni mon mari, ni mon amant, ni mon esclave, sans chagrin, sans joie, sans pleurs, m'a fait élever, sachant et ne sachant pas pour qui, ce monument qui n'est ni une pyramide, ni un sépulcre, mais les deux. C'est ici un tombeau qui ne renferme pas de cadavre; c'est un cadavre qui n'est pas enfermé dans un sépulcre. Le cadavre et le sépulcre ne font qu'un." BARNAULD établit, en fait, dans son commentaire qu'il s'agit de la Pierre des philosophes (pensée à approfondir). Une autre énigme non moins célèbre, tirée des alchimistes grecs, est la suivante : "J'ai neuf lettres et quatre syllabes, retiens que les trois premières ont chacune deux lettres - les autres ont le reste, il y a cinq consonnes - connais moi et tu auras la sagesse". Le mot de l'énigme est ARSENICON. Je vous laisse apprécier la phraséologie.

Une autre forme d'énigme est l'acrostiche, consistant à présenter une formule, où les premières lettres de chaque mot réunies formaient un terme que les Philosophes Hermétiques ne voulaient pas révéler directement. Par exemple, dans un  ouvrage de Basile VALENTIN, le mot "vitriol" se découvre ainsi : Visitabis Interiora Terrae Rectificande Invenies Occultum Lapidem.

Tous les moyens précédemment énumérés ne servaient à cacher que des mots, nous allons voir maintenant comment les alchimistes voilaient leurs idées. 

Au premier rang, se placent les fables issues de la mythologie grecque, voire même égyptienne. On ne les trouvent le plus souvent que chez les alchimistes de la période postérieure à la Renaissance. Non seulement on ne servit des mythes pour cacher le Grand Oeuvre, mais en admettant la réciproque, on s'efforça de prouver que : Homère, Virgile, Hésiope, ou Ovide, avaient été des adeptes et avaient enseigné la pratique de la Pierre dans leurs oeuvres. Cette croyance extravagante est soeur de celle qui donnait à Adam la connaissance de la Pierre Philosophale... PERNETY dans ses "fables grecque et égyptienne" n'hésite pas à donner une explication hermétique de "l'Illiade" et de "l'Odyssée"?? Aucune fable n'échappe à sa "fureur" d'expliquer. Son ouvrage est des plus curieux et sa lecture prolongée est des plus indigeste. Disons, à la décharge de PERNETY, qu'il avait été précédé dans cette voie par LIBOIS : "Encyclopédie des dieux et des héros sortis des quatre éléments et leur quintessence, suivant la science hermétique".

En étant plus sérieux, les alchimistes ont employé de tout temps l'allégorie. Le grec ZOZIME en a fait une assez typique, rapportée par HOEFFER dans son  "Histoire de l'Alchimie". Une plus récente où se trouvent indiquées les couleurs de la Matière pendant le Grand Oeuvre : "noir, gris, jaune, rouge,. Or, comme j'étais allé faire un voyage, je me rencontrais entre deux montagnes, où j'admirais un homme des champs; grave et modeste en son maintien, vêtu d'un manteau gris, sur son chapeau un  cordon noir, autour de lui une écharpe blanche, ceint d'une courroie jaune et botté de bottes rouges." Plusieurs allégories curieuses sont référencées , notamment l'allégorie de Merlin, rapportée soit dans HOEFFER, soit dans "l'Alchimie et les alchimistes" de FIGUIER. Ces deux auteurs en donnant des explications fort probantes, notamment HOEFFER qui voit dans l'allégorie de Merlin l'indication de l'analyse chimique par voie sèche et par voie humide !

Il me reste à parler de la cryptographie, c'est-à-dire l'art d'écrire secrètement en employant des signes inconnus ou détournés de leur signification primitive. Les alchimistes employaient des alphabets composés tantôt de signes hermétiques, tantôt de lettres entremêlées de chiffres, ainsi mercure s'écrivait 729c592, le borax b491x. TRITHEME dans sa "Polygraphie" cite quelques alphabets hermétiques composés de signes très particuliers.

Il est avéré que parfois les alchimistes écrivaient à rebours, ou bien ils ajoutaient au corps des mots des lettres inutiles. D'autres supprimaient au contraire des lettres, PARACELSE tronque ainsi "aromaphilosopharum". D'ATREMONT, dans le "Tombeau de la pauvreté" va plus loin, il remplace des morceaux de phrases entiers par des mots forgés à plaisir, ainsi : "La cinquième qualité est la pureté et transparence de notre sel afin qu'il pénètre mieux et cela s'acquiert ("ongres netigilluk ende firseigli") comme sera dit ci-après". Heureusement qu'à la fin du volume se trouve une clef ou traduction de ces termes baroques; les termes ci-dessus cités signifiaient : "Par la filtration après la résolution en vinaigre distillé".

Raymonf LULLE affectionne un  genre particulier de cryptographie, il désigne les principales opérations, les produits, les appareils, par de simples lettres de l'alphabet. Ainsi dans son "Compendicum animae transmutationis" nous pouvons lire : "Vois Ô mon fils, si tu prends F et que tu le pose dans C et que tu mettes le tout en H tu a la première figure FCH, etc..." F signifie les métaux, C une eau acide qui dissout les métaux et H le feu du premier degré.

Chaque alchimiste pouvait donc employer des moyens particuliers de cryptographie, une étude approfondie et détaillée s'avère inutile et nous entraînerait très loin. Qu'il nous suffise d'avoir parlé des plus communs.